Ataraxie

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Droseraceae


Drosera rotundifolia : la carnivore des Vosges.

Drosera rotundifolia (Droseraceae) est une petite plante présente dans les zones ± tempérées de l’hémisphère nord. Espèce carnivore parmi les plus répandues, elle est notamment présente dans les tourbières du massif vosgien.

Les feuilles, au bout d’un long pétiole aplati, sont le plus souvent proches du sol, plus rarement redressées. Disposées autour d’un axe central, elles forment une rosette de 2 à 5 cm de diamètre. La surface et la marge de chaque feuille sont couvertes de près de 200 poils glanduleux ou « tentacules », flexibles, rougeâtres, terminés par une gouttelette d’un mucus polysaccharidique translucide et collant, à l'origine d'un véritable "papier tue-mouche" végétal.

Les fleurs à cinq pétales blancs apparaissent en été au bout d’une tige située au centre de la rosette et haute de 5 à 20 cm. Cette hauteur limite au mieux le risque de capture des insectes pollinisateurs. Les fleurs ne s’ouvrent que deux à trois heures, en plein soleil, lors d’une seule journée.

La racine est constituée d’une racine principale et d’un fin chevelu. A côté de la reproduction sexuée par production de graines, la racine permet une propagation végétative en courant parallèlement au sol et en émettant des drageons. La racine n'est présente qu’une partie de l’année. Elle meurt en automne laissant la plante sous la forme d’un simple bourgeon hivernal ancré dans la tourbe grâce uniquement au reste de la racine morte.

 

Tourbière de Lispach (La Bresse, 88) le 31 mai 2018.

Tourbière de Lispach (La Bresse, 88) le 31 mai 2018.

Drosera rotundifolia est une plante des milieux acides, pauvres et humides mais fortement ensoleillés .

Elle affectionne les tourbières et les pelouses à sphaigne, milieux constamment humides mais non inondés. Son abondance est influencée par la composition de l’eau de la tourbière. Elle a une préférence pour les pH modérément acides et les milieux très pauvres en calcium et en magnésium (espèce calcifuge). L’humidité des marais et des tourbières crée un substrat hostile, peu aéré. La génération d’acides humiques par les sphaignes abaisse le pH. La matière organique y est incomplètement minéralisée et les nutriments par conséquent peu disponibles au niveau racinaire.

La capture de proies et leur assimilation par la plante, est logiquement décrite comme une adaptation visant à compenser son implantation dans ce milieu pauvre en éléments nutritifs. L’absorption des nutriments issus de la proie se fait au niveau des feuilles. La proie est capturée par les tentacules et leurs gouttelettes terminales collantes, les « parties molles » sont digérées et les nutriments assimilés par la feuille. Des éléments d’origine autre qu’animale tels que des grains de pollen présents dans l’air circulant sont également « attrapés », digérés et assimilés par la plante.

 

Cette fonctionnalité, atypique pour le règne végétal autotrophe grâce à la photosynthèse, a suscité de nombreuses interrogations quant à ses mécanismes physiologiques et à sa finalité. Des travaux scientifiques ont notamment tenté de préciser si la carnivorie, capture et assimilation de proies par les feuilles, était réellement dépendante de la présence ou non de ressources nutritives dans le sol. En « milieu naturel », la part de l’azote de Drosera rotundifolia provenant de proies a été déterminée par analyse isotopique (azote 15N) et se situerait autour de 50% . Par ailleurs, l’apport de nutriments (azote, phosphates et potassium) au substrat de culture diminuerait le diamètre des rosettes et l’adhésivité de la plante donc sa capacité à attraper une proie mais affecterait également la floraison et la biomasse de tous les organes. La transformation de feuilles assimilatrices en pièges carnivores efficaces représente pour la plante un coût énergétique et une certaine perte en capacité de photosynthèse. Aussi, la balance bénéfice/coût de la carnivorie, favorable en milieu pauvre, pourrait perdre son intérêt en sol riche en nutriments. Les organes dédiés à la capture de proies deviendraient ils donc moins utiles en substrat riche ou enrichi ? ou ces nutriments pourraient ils devenir toxiques pour des espèces vivant en milieu pauvre ?

Il est aujourd’hui admis que près de 80 % des plantes vasculaires développent au niveau des racines une relation symbiotique avec une ou plusieurs espèces fongiques présentes dans le sol, connue sous le nom de mycorhize. Des endophytes d’espèces variant selon la période de l’année et des mycorhizes ont été mis en évidence au niveau racinaire chez Drosera rotundifolia mettant fin à l’idée selon laquelle les espèces carnivores n’étaient pas mycorhizées. Devant cette observation surprenante, les auteurs se sont posés la question d’une symbiose « classique », facilitant une absorption racinaire en milieu pauvre voire toxique ? ou au contraire d’un parasitisme fongique ?

Si comme avancé, une plante carnivore obtient l’essentiel de ses nutriments par la digestion de proies au niveau des feuilles, quelle est l’utilité réelle ou résiduelle au niveau des racines d’un partenaire symbiotique fongique, endophytes ou mycorhizes ?

Pour certains auteurs, capture de proies et absorption racinaire ne serait pas forcement antinomiques. L’absorption de nutriments au niveau des pièges foliaires pourrait avoir un effet indirect stimulant et augmentant l’absorption de nutriments minéraux (N, P , K Mg) au niveau racinaire, à l’origine d’une croissance augmentée de la plante.

 

Au total, bien que souvent mis en avant, l’augmentation de la croissance de la plante et le bénéfice énergétique et/ou nutritionnel de la carnivorie, qu’ils soient directs par absorption foliaire ou indirects par stimulation de l'absorption racinaire, ne sont pas retrouvés dans tous les travaux. Il est à noter par ailleurs que la presque totalité des espèces carnivores est capable de survivre sans capture de proie avec pas ou peu de retentissement sur la croissance, la vigueur de la plante, et sa floraison !!! et que dans ces milieux pauvres humides et difficiles, d’autres espèces (Graminées, Ericaceae …) parviennent à se développer sans pièges carnivores … ???

 

 

Tourbière de Lispach (La Bresse, 88) le 28 juin 2018.

Tourbière de Lispach (La Bresse, 88) le 28 juin 2018.

Une plante comme tout vivant doit être apte à se défendre contre des agressions extérieures, insectes, bactéries, virus, champignons … L’acide jasmonique et ses dérivés, plus particulièrement son conjugué à l’isoleucine, sont les hormones clés du monde végétal régulant les mécanismes de défense.

Une blessure infligée à une plante, mécanique ou provoquée par un herbivore, induit un potentiel électrique à l’origine de la synthèse et de l’accumulation transitoire de jasmonates et d’acide abscissique, principaux signaux permettant d’activer la défense de la plante. Ainsi, chez Drosera capensis, cousine de Drosera rotundifolia, ces signaux sont propagés de façon systémique par le système circulatoire et induisent une réaction de toute la plante : mouvements convulsifs des tentacules de toutes les feuilles de la plante et libération d’enzymes.

C’est toujours chez Drosera capensis que viennent d’être tout récemment précisées les séquences physiologiques se succédant lors de la capture et de l’assimilation d’une proie.

Une proie qui se débat au contact des tentacules marginales de la feuilles déclenche un potentiel de surface dont la conséquence est une inclinaison rapide de ces tentacules en direction du centre de la feuille. A ce stade, un « signal chimique » par contact de la proie (chitine, ion NH4+) sur les petites tentacules du centre de la feuille induit un nouveau signal électrique oscillant de faible amplitude puis l’accumulation de jasmonates (jasmonate et jasmonate conjugué à l’isoleucine) qui seront à l’origine d’une inclinaison lente des tentacules latérales qui n’étaient pas en contact avec la proie voire même d’un replis partiel de la feuille. C’est dans cette partie de la feuille, véritable « outer stomach », qu’interviendra la production des enzymes digestives déclenchée par l’accumulation des jasmonates : protéases, chitinase, ribonucléase, phosphatase, galactosidase … L’ensemble de ce processus est ici restreint à la seule feuille qui a attrapé une proie et aucune réaction analogue n’est observée sur le reste de la plante.

 

Ainsi, malgré une certaine opposition entre un processus localisé de capture de proie et la réaction systémique après blessure de la plante, une différence de nature et de cinétique entre les signaux électriques émis, une production moindre de jasmonates et d’enzymes digestives en cas d’agression comparée à celle observée lors du contact de la feuille de Drosera capensis avec une proie … l’analogie est frappante entre ces mécanismes et apporte un éclairage nouveau sur la carnivorie végétale.

 

« The more we learn about carnivorous plants the more we realize that the background of carnivory is the plants’ability to defend against attackers, such as herbivorous insects. In a very simplified way we can state that carnivorous plants took over existing pathways and strategies, from electrical signals to hydrolytic, defense-related enzymes, and put them in a different context, namely carnivory. Why should plants develop new features if they can use existing ones ? » Axel Mithöfer extrait de New Phytologist 2017 ; 213 : 1564-66

 

 

à suivre …

 

 

Voir également sur ce blog : Charles Darwin et Drosera rotundifolia

 

Tourbière de Lispach (La Bresse, 88) le 28 juin 2018.

Tourbière de Lispach (La Bresse, 88) le 28 juin 2018.

 

Stewart CN and Nilsen ET. Drosera rotundifolia growth and nutrition in a natural population with special reference to the significance of insectivory. Can J Bot 1992 ; 70 : 1409-1416

 

Adamec L. Leaf absorption of mineral nutrients in carnivorous plants stimulates root nutrient uptake. New phytologist 2002 ; 155 : 89-100.

 

Thoren LM et coll. Resource availability affects investment in carnivory in Drosera rotundifolia. New Phytologist 2003 ; 159 : 507-511.

 

Millett J et coll. The contribution of insect prey to the total nitrogen content of sundews (Drosera spp.) determined in situ by stable isotope analysis. New phytologist 2003 ; 158 : 527-34.

 

Adlassnig W et coll. The roots of carnivorous plants. Plant and soil 2005 ; 274 : 127-140.

 

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Pavlovic A and Saganova M. A novel insight into the cost-benefit model for the evolution of botanical carnivory. Annals of Botany 2015 ; 115 : 1075-92.

 

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Krausko M et coll. The rôle of electrical and jasmonate signalling in the recognition of captured prey in the carnivorous sundew plant Drosera capensis. New Phytologist 2017 ; 213 : 1818-35.

 

Mithöfer A. What Darwin only divined : unraveling the hierarchy of signaling events upon prey catch in carnivorous sundew plants. New Phytologist 2017 ; 213 : 1564-66.

 

 


02/11/2018
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Charles Darwin et Drosera rotundifolia

Alors qu'il est pressé par son éditeur de fournir les corrections des épreuves de la troisième édition de son ouvrage principal  "L'origine des espèces", C Darwin écrit le 24 novembre 1860 au géologue Charles Lyell :

 

" ... for at this present moment I care more about Drosera than the origin of all the species in the world. But I will not publish on Drosera till next year, for I am frightened and astounded at my results.

 

Dans une lettre rédigée le 4 aout 1863, C Darwin répond au botaniste américain Asa Gray qui trouve le mécanisme de capture des proies de Drosera rotundifolia bien lent en comparaison de celui de la Dionée :

  

"...  Depend on it, you are unjust on the merits of my beloved Drosera: it is a wonderful plant, or rather a most sagacious animal. I will stick up for Drosera to the day of my death."

 

La correspondance de C Darwin est accessible sur le site :  Darwin correspondence project

 

 

Drosera rotundifolia.
Tourbière de Lispach (88) le 31 mai 2018

Drosera rotundifolia.
Tourbière de Lispach (88) le 31 mai 2018

Drosera rotundifolia.
Tourbière de Lispach (88) le 31 mai 2018

Drosera rotundifolia.
Tourbière de Lispach (88) le 31 mai 2018

Drosera rotundifolia pousse au ras du sol de nos tourbières vosgiennes, elle est observée ci dessus sur la tourbière de Lispach près de la Bresse (88).

Un siècle et demi après Darwin, tous ses mystères n'ont pas encore été éclaircis par les botanistes.

 

à suivre ....

 

 

Voir également sur ce blog  Drosera rotundifolia : la carnivore des Vosges.

 


19/07/2018
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