La course folle du bourdon.
« Les abeilles sont des conteuses.
Elles ont cette extraordinaire capacité d’indiquer à leurs sœurs la direction, la distance et la qualité des sources de nectar ou de pollen qu’elles viennent de découvrir.
…
La danse frétillante des abeilles.
Ce récit qui prend la forme d’une danse sonore, dans l’obscurité du nid ou de la ruche.
…
La danse frétillante est une chorégraphie durant laquelle l’abeille revit sous une autre forme le voyage et la découverte qu’elle vient de vivre.
...
Ce que l’on sait, c’est que ses sœurs sont capables de déchiffrer la signification du récit auquel elles assistent. Ou, tout du moins, de se l’approprier, puis de revivre, sous la forme d’un véritable voyage, la danse qu’elles ont observée et appréciée. »
Extraits de : Jean Claude Ameisen. Sur les épaules de Darwin. Je t’offrirai des spectacles admirables. Coéditions Babel/France inter. Des liens qui libèrent, 2013.
Le mode de communication des bourdons butineurs de retour au nid a également suscité la curiosité des chercheurs.
La transmission d’information sur les sources de nectar ou de pollen est vitale pour la colonie. Elle diminue le temps passé par chaque ouvrière à trouver une nouvelle ressource et améliore l’efficience de la collecte.
Contrairement à l’abeille, le bourdon ne peut pas communiquer sur la géographie des ressources. Il va informer la colonie de la disponibilité des fleurs, permettre la reconnaissance de leur parfum et surtout, inciter ses congénères à partir butiner.
De retour au nid, le butineur se met en quête de « pots à miel » disponibles pour y décharger son butin. Il se livre ensuite à une course folle à travers le nid, bousculant ses congénères, agitant ses ailes en mouvements totalement anarchiques, tout en se nettoyant le corps. La durée de ces cavalcades diminuera au fil de ses retours d’un même site.
Les bourdons du nid ne tentent pas de le suivre. Ils observent. Ils se rassemblent autour des pots nouvellement remplis, goûtent le nouveau nectar.
Au fil des retours du butineur, la colonie s’agite progressivement, les déplacements des bourdons dans le nid passant en une demi heure de 0,40 cm/s à 1,18 cm/s.
Cette frénésie croissante de la colonie résulte t’elle simplement de l’agitation anarchique du butineur de retour ?
Phénomène surprenant, cette effervescence, invisible puisque produite dans l’obscurité du nid, peut être transmise sans contact à un nid voisin mais, n’est plus transmise lorsqu’un film plastique sépare les deux nids.
Les chercheurs ont relié deux nids distants de plus de 1,5 mètres par un fin tube de verre avec une pompe à air. Par ce biais, malgré la distance, l’augmentation d’activité d’une colonie provoque l’augmentation d’activité de la seconde, suggérant fortement l’intervention d’une substance volatile.
Des extraits de différentes glandes du bourdons ont été testés. Parmi tous les extraits, l’extrait issu de la cuticule du dernier couple de tergites (VI et VII), à l’extrémité de l’abdomen, a déclenché la même agitation dans le nid que le retour d’un butineur. Une découverte qui confirmait l’hypothèse d’une phéromone d’alerte émise par le butineur et diffusée dans l’atmosphère de la colonie lors de sa course folle et l’agitation désordonnée de ses ailes.
Dès lors, il restait à identifier cette phéromone.
Les molécules présentent dans l’atmosphère du nid ont été analysées avant et pendant la course désordonnée du butineur de retour. De même, des extraits obtenus à partir des tergites distaux de l’abdomen ont été analysés chez des bourdons butineurs avant puis à leur retour d’une source alimentaire. Trois composés apparaissaient franchement sur les tracés chromatographiques au retour d’une source alimentaire, tant dans l’atmosphère du nid que dans les extraits animaux : l’eucalyptol, le farnésol et l’ocimène. Les essais menés par la suite soulignaient le rôle majeur de l’eucalyptol, capable, à lui seul, de faire sortir du nid pour butiner, en moins de 15 minutes, la totalité d’un groupe de 17 bourdons.
L’eucalyptol ainsi émis et disséminé anarchiquement dans toute la colonie par le butineur à son retour, remplit son rôle de « phéromone d’alerte ». Une phéromone qui provoque l’effervescence de la colonie et la sortie des autres butineurs en quête du nectar.
Il semble toutefois que cette « phéromone d’alerte » ne participe pas à l’apprentissage du parfum de la fleur ciblée. Le parfum dégagé par le nectar déposé dans les « pots à miel » suffit à cet apprentissage. Une reconnaissance accrue par la possibilité pour les futurs butineurs de goûter ce nectar. Une reconnaissance et un intérêt pour les membre de la colonie particulièrement exacerbés lorsque ce nectar odorant est déposé au nid par un butineur de la colonie.
L’apport par un butineur de la colonie d’un parfum floral inconnu semblant, pour le bourdon, être une des clés pour son apprentissage et sa reconnaissance hors du nid.
Sources bibliographiques :
Dornhaus A and Chittka L. Food alert in bumblebees (Bombus terrestris) : possible mechanisms and evolutionary implications. Behav Ecol Sociobiol 2001 ; 50 : 570-6.
Dornhaus A et coll. Bumble bees alert to food with pheromone from tergal gland. J Comp Physiol A 2003 ; 189 : 47:51
Granero AM et coll. Chemical compounds of the foraging recruitment phéromone in bumblebees. Naturwissenschaften 2005 ; 92 : 371-4.
Molet M et coll. How floral odours are learned inside the bumblebee (Bombus terrestris) nest. Naturwissenschaften 2009 ; 96 : 213-9.
Jean Claude Ameisen. Sur les épaules de Darwin. Je t’offrirai des spectacles admirables. Coéditions : Babel/France inter. Des liens qui libèrent, 2013.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 20 autres membres