Orchis pyramidal en Cap Sizun
Orchis pyramidal parmi la végétation printanière.
Dunes de Trez Goarem à Esquibien (29) ; le 21/06/2019
« … Séduction et reproduction sont intimement mêlées dans le monde animal : le paon fait la roue, le rossignol chante, les bouquetins font des démonstrations de force.
[…] La différence chez les plantes, c’est que la séduction n’est pas orientée vers le partenaire mais s’adresse à l’entremetteur ! Il leur faut séduire celui qui fera le lien entre les fleurs, en transportant à son insu le pollen bien plus efficacement que ne le fait l’eau pour les fougères, ou le vent pour les conifères. » F Parcy. L’histoire secrète des fleurs. Editions Humensciences. Paris 2019
Les orchidées par la beauté et la sophistication de leurs fleurs sont de remarquables séductrices, séductrices pour l’oeil humain mais surtout, comme le souligne le biologiste François Parcy, séductrice pour les insectes qui les pollinisent.
Extérieurement, la fleur d’orchidée est constituée de 2 cycles de 3 pétales (plus rigoureusement des tépales pétaloïdes). Le labelle est le plus remarquable, pour le botaniste amateur comme pour l’insecte, il attire par sa forme, ses motifs colorés, son parfum. Initialement formé dans la partie supérieure de la fleur, c’est la torsion de la fleur à 180° (la résupination) qui le ramène en position inférieure, lui permettant de jouer pleinement son rôle auprès des insectes, son rôle de séduction mais aussi de piste d’atterrissage. Il est souvent prolongé par le nectaire, un éperon sécrétant du nectar, récompense à l’attention des pollinisateurs.
Dans la partie mâle de la fleur, les étamines latérales involuent sous la forme de petites cavités sécrétant une pelote visqueuse : le rétinacle. Ne persiste qu’une étamine centrale, dont le filet se soude au style central dont le stigmate stéril est rabattu vers l'avant : le rostellum. Les grains de pollen sont agglomérés sous la forme de massues : les pollinies. Au nombre de deux, elles sont reliées par un caudicule jusqu’aux pelotes visqueuses des rétinacles sur la partie supérieure du rostellum.
Le gynécée est constitué de trois carpelles ouvert. Comme vu précédemment, le stigmate central et son style sont stériles, formant avec le filet de l'étamine centrale le rostellum. Les deux stigmates latéraux persistent sous la forme de deux cavités soudées, au revêtement ± visqueux, situées dans le prolongement du labelle, en dessous et de part et d’autre du rostellum.
Anacamptis pyramidalis
Quelques repères morphologiques,
périanthe.
(Cliquer sur l'image pour agrandir)
Ce mois de juin, les dunes côtières, les friches herbacées, les talus de bord de route, et même les pelouses du Cap Sizun étaient tachetées de pourpre par les inflorescences en grappe serrée d’Anacamptis pyramidalis, une orchidée « sauvage » plus connue sous le nom d’Orchis pyramidal.
Les petites fleurs pourpres formant l’inflorescence de l’Orchis pyramidal, par leur petite taille, leur couleur uniforme, sont en apparence presque banales pour des « orchidées ». Pourtant, il y a bientôt deux siècles, l’étude de leur morphologie florale particulièrement adaptée à l’insecte pollinisateur a suscité l’enthousiasme de Charles Darwin :
« … il n'est aucune autre plante, peut-être même aucun animal, chez qui les organes soient mieux adaptés les uns aux autres, et qui dans son ensemble soit plus en harmonie avec d'autres êtres organisés très-éloignés dans l'échelle de la nature ... »
Darwin décrit les singularités morphologiques de l'Orchis pyramidal (Images ci-dessus, cliquer pour agrandir et accèder aux légendes).
Le rostellum est situé particulièrement bas, fermant presque l’accès à l’éperon nectarifère.
Deux crêtes proéminentes sur le labelle sont situées juste avant les stigmates et bordent l’entrée de l’éperon.
Autre particularité anatomique, les deux caudicules des pollinies reposent sur un seul disque commun, visqueux, en forme de selle, sur la partie supérieure du rostellum.
Orchis pyramidal parmi la végétation printanière.
Dunes de Trez Goarem à Esquibien (29) ; le 21/06/2019
Ainsi, lorsqu’un papillon engage sa trompe à la recherche de nectar, elle est guidée par les deux crêtes proéminentes latérales du labelle vers l’entrée très étroite de l’éperon. L’étroitesse du passage oblige alors l’abaissement de la lèvre inférieure du rostellum par la trompe du papillon et son contact avec la face inférieure visqueuse du disque en forme de selle portant les pollinies.
Rapidement, les deux extrémités de la selle se recourbent et entourent la trompe. Lorsque le papillon quitte la fleur, sa trompe est ornée des deux pollinies. D’abord verticales, les pollinies s’abaisseront vers l’extrémité de la trompe, le temps pour le papillon de voler vers une autre fleur,. Leur position est alors idéale pour venir au contact des deux stigmates latéraux de la prochaine fleur visitée lorsque le papillon y introduira sa trompe toujours à la recherche de nectar. Les pollinies céderont aux stigmates de cette nouvelle fleur quelques paquets de grains de pollen venant de la précédente.
Ainsi, la reproduction de l’Orchis pyramidal nécessite la bonne adhésion de la selle et des pollinies à la trompe du papillon. Elle suppose que la matière visqueuse ait le temps de sécher et de devenir bien adhérente. Elle suppose de retarder le papillon, de le retenir ... et donc de faire en sorte que le nectar ne puisse être aspiré qu'avec lenteur.
Mais à première vue, le nectaire, l’éperon de l’Orchis pyramidal semble vide. Un nectaire sans nectar !? Un leurre en quelque sorte.
Darwin ne peut admettre qu’un papillon, après avoir été leurré par une fleur, puisse perdurer dans ce jeu de dupe et participer ainsi à perpétuer l’existence de cette plante :
« Celui qui ajouterait foi à une telle doctrine abaisserait bien bas les facultés instinctives de plusieurs espèces de papillons. »
Darwin distingue, par un examen minutieux, une séparation entre les membranes interne et externe de l’éperon de l’Orchis pyramidal. Une séparation et surtout un fluide présent entre ces deux membranes. Il émet donc l’hypothèse que la trompe du papillon doit percer en quelque point la membrane interne pour aspirer le fluide situé entre les deux membranes et passer ainsi plus de temps pour obtenir sa récompense. Le temps nécessaire pour que les pollinies puissent coller efficacement sur la trompe du papillon.
« Ainsi, quand la matière visqueuse demande quelques instants pour jouer son rôle de ciment, le nectar est logé de telle manière que les papillons mettent plus de temps à l'atteindre … si cette double coïncidence est accidentelle, c'est un heureux accident pour la plante ; mais si elle n'est pas fortuite, et je ne puis croire qu'elle le soit, quelle merveilleuse harmonie ! »
Un zygène sur Orchis pyramidal.
Plusieurs paires de pollinies sont visibles sur sa trompe.
Dunes de Trez Goarem à Esquibien (29).
21 juin 2019
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Sources bibliographiques :
Parcy F. L’histoire secrète des fleurs. Editions Humensciences. Paris 2019
Dupont F. et Guignard JL. Botanique, Les familes de plantes. 16ème édition. Editeur : Elesevier Masson. Issy les Moulineaux 2015.
Darwin C. De la fécondation des orchidées par les insectes et des bons résultats du croisement. Traduction L. Rérolle. Editeurs : Reinwald et Cie. Paris 1870.
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